Réduire de 50% les engrais synthétiques en Europe

L'utilisation d'azote synthétique dans l'agriculture a été essentielle pour nourrir la moitié de l'humanité au cours du 20ème siècle. Elle reste un pilier fondamental de la sécurité alimentaire globale. Cependant, près de la moitié des apports d'engrais azotés sont perdus dans l'environnement, polluant l'air, l'eau et les sols, affectant la santé humaine et la diversité biologique et contribuant à l'effet de serre. L’objectif du projet STIMUL était de fédérer des équipes pluridisciplinaires au sein du Labex BASC, qui travaillent sur la modélisation des usages des sols, autour d’un scénario de réduction de 50% de l’utilisation d'azote synthétique en Europe. Le projet a mobilisé des modèles agronomiques (STICS et LPJML), économiques (AROPAj et NLU), le modèle de surface ORCHIDEE et le modèle de biodiversité PREDICTS . Les impacts de ce scénario ont été analysés dans plusieurs dimensions : production agricole, émissions de gaz à effet de serre, biodiversité et changement d’usage des sols. Les résultats montrent que réduire de moitié l'utilisation d'azote synthétique dans l’agriculture européenne diminuerait de façon significative la production agricole européenne. Néanmoins, les bénéfices découlant de cette réduction en termes d’atténuation du changement climatique et de préservation de la biodiversité dépassent les coûts associés à la réduction de la production agricole.

Contexte et enjeux :

L'utilisation d'azote synthétique dans l'agriculture est au cœur du trilemme consistant à garantir la sécurité alimentaire, contribuer à l’atténuation du changement climatique et préserver  la biodiversité (WBGU, 2020). En effet, les engrais minéraux ont permis de nourrir environ la moitié de la population mondiale (Erisman et al, 2008) et restent essentiels pour assurer la sécurité alimentaire mondiale pour le reste du 21e siècle. Cependant, près de la moitié des engrais azotés utilisés ne sont pas absorbés par les cultures et sont perdus dans les écosystèmes (Billen et al 2013). Cela fait de l'agriculture la plus grande source mondiale de pollution azotée, entraînant des effets négatifs sur les sols, l'eau, la biodiversité, la santé humaine et une exacerbation des impacts du changement climatique (Sutton et al 2021). Ces coûts pour la société dépassent les bénéfices associés liés à la production agricoles (Sutton, 2012) (dans les conditions économiques présentes)
Plusieurs études récentes concluent que la réduction des intrants chimiques en agriculture, en lien avec le Green Deal européen (Guyomard et al 2020), est susceptible d’entraîner une diminution de la production agricole, une perte de compétitivité et une hausse des prix alimentaires en Europe (Beckman et al. 2020; Barreiro-Hurle et al. 2021). Cependant, ces études ne prennent pas en compte les avantages potentiels en termes de climat et de biodiversité. Dans ce projet, nous avons exploré les effets de la réduction de moitié de l’utilisation d’azote synthétique agricole dans l’Union européenne (UE). Nous avons analysé les impacts à la fois sur la production agricole, sur l’atténuation du changement climatique et sur la conservation de la biodiversité. Nous avons également exploré les arbitrages et les synergies entre ces impacts en prenant en compte à la fois les coûts et les bénéfices associés.

Résultats :

Les modèles économiques montrent que la politique de réduction de l’azote minéral entraîne une réduction substantielle de la production agricole. Cette baisse de la production résulte de changements d’usages des sols qui se traduisent différemment dans chacun des modèles économiques : abandon de terres agricoles dans AROPAj et  extensification de l'agriculture dans NLU.
Les résultats montrent des impacts contrastés en termes de carbone et de biodiversité  avec des arbitrages et synergies entre les objectifs production agricole/climat/biodiversité.
Nos résultats montrent que les avantages liés au climat et à la biodiversité suite à la réduction de moitié de l'utilisation de l’azote minéral dans l'agriculture européenne sont supérieurs aux coûts associés à la baisse de la production agricole.

 

Perspectives :

Les travaux sur les impacts des usages des sols et des pratiques agricoles sur l’environnement  se poursuivent dans le cadre d’autres projets en cours qui étudient ces phénomènes à l’échelle française (FAST), européenne (Lamasus) et globale (Cland).

Bibliographie  :
Les impacts économiques sont étudiés en détail dans
Halving mineral nitrogen use in European agriculture: insights from multi-scale land-use models. Applied
Economic Perspectives and Policy 1– 22.

Les impacts environnementaux  (effet de serre et biodiversité) sont analysés dans
Quantifying the benefits of reducing synthetic nitrogen application policy on ecosystem carbon sequestration and biodiversity. Scientific Reports (2022) 12, 20715 .

Les différents impacts sont synthétisés dans
Food, climate and biodiversity: A trilemma of mineral nitrogen use in European agriculture dans Review of Agricultural, Food and Environmental Studies (2023) 103: 271– 299. 

 

Date de création : 20 novembre 2023 | Rédaction : Régis Grateau